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À l’ère du numérique, le courrier se fait de plus en plus rare, mais le texte épistolaire séduit encore. Que peut un livre empruntant la forme d’une lettre, exploitant des correspondances originales ou interpellant ouvertement la lectrice, le lecteur ? En quoi le geste d’écrire des lettres peut-il convenir aux écrivaines et aux intellectuelles en France aujourd’hui ? Que signifie de destiner à autrui chaque mot qu’elles tracent ? À qui s’adressent-elles ? Comment, et à quelles fins, sont-elles amenées à s’exprimer ainsi, que ce soit de façon directe ou par un personnage fictif ? C’est pour répondre à ces quelques interrogations que Karin Schwerdtner s’est entretenue avec quinze femmes, écrivaines, chercheuses, intellectuelles, sur leurs projets, leurs initiatives, leur goût des (belles-)lettres. Avec Arlette Farge, Annie Ernaux, Michèle Lesbre, Maryline Desbiolles, Lydia Flem, Leïla Sebbar, Hélène Gestern, Christine Montalbetti, Lydie Salvayre, Camille Laurens, Marie Nimier, Linda Lê, Laurence Tardieu, Colombe Schneck et Sylvie Le Bon de Beauvoir.
Fiction & Cie Primo Depuis quelque temps le personnage de ma grand-mère italienne, ce que je savais d'elle, mais surtout ce que je ne savais pas, pas bien, me tirait par la manche, faisait des apparitions dans mes livres. J'ai voulu voir de plus près. Je suis allée à Turin, où elle s'était rendue dans les années 30, en plein régime mussolinien, pour accoucher de son deuxième enfant, accompagnée du premier-né, Primo, qui disparut alors mystérieusement. Je suis allée à Annecy où l'empoigna un autre drame, à la Libération, en pleine fête du 14 Juillet. À Annecy où elle est morte au début du troisième millénaire. Je n'ai jamais eu le sentiment de me retourner, de fouiller un passé confit auquel je devais rendre hommage. C'était un mouvement qui m'emportait, qui m'inventait, mes origines étaient au-devant de moi, et elles avaient éternellement le goût de la première fois.
C'est une très jeune femme, elle sort à peine de l'enfance et elle est enceinte. Elle a couché avec Vincent, la veille du départ du garçon pour la guerre d'Algérie. Son ventre est déjà gros, mais personne ne sait qu'elle est enceinte, ni ceux avec lesquels elle travaille à la Poste du village, ni ses parents chez qui elle vit encore, ni Vincent qu'elle n'a plus revu et à qui elle ne sait pas écrire. Elle l'a dit à une seule personne, à Marie-Marthe, la marraine qu'elle s'est choisie depuis toujours. Peut-être aussi parce que Marie-Marthe est hors du monde. Marie-Marthe a trop connu la violence et la blancheur du monde, trop de choses à jamais vidées de leur souffle et de leur ferveur, comme les pierres des murets que Marie-Marthe déplace sans cesse, en pure perte, en contrebas du Petit col des loups où elle habite. Tout reste à faire cependant. Il lui reste à se déprendre du silence et d'abord du silence de cette naissance qu'il faudra bien finir par annoncer. Coûte que coûte il lui faudra apprendre ces mots-là, elle qui n'a rien vu du monde et qui ne possède, en tout et pour tout, que son allant de jeune renarde.
Il est temps de se mettre à table. Nous avons assez cuisiné, assez réglé les préparatifs, assez tourné autour du pot. Il est temps de lever notre verre et de boire ce léger vin blanc italien. Car c'est en Italie que nous avons appris à monter sur la table à la fin des banquets d'enfance, à y danser et chanter: la table est une scène. Et c'est en Italie que nous avons appris à regarder les tableaux, peut-être bien à regarder tout court, à comprendre dans quelle lumière il est permis de peindre à leur tour toutes les scènes auxquelles nous assistons, à inventer comment jouer sur tous les tableaux, festin, tête à tête, déjeuner de communion, sans jamais perdre de vue le repas ultime, le dîner, la cène que nous trahissons de toutes les manières.
J'ai toujours aimé entrer dans les cimetières. Regarder les photos, lire les noms. Les mots de regret et d'amour. Relier, renouer les histoires. Que ce soit celle des inconnus ou de Gaby, le communiste, celle de mes grands-parents italiens ou de la victime collatérale d'un fait-divers sanglant dans les forêts de Haute-Savoie.J'ai toujours aimé les cimetières. Ces lieux à l'écart, retranchés, qui me semblent parfois au cœur battant du monde. Au cœur des migrations de ce que nous n'appelons plus les âmes. Elles n'en reviennent pas moins vers nous qui hésitons à prendre la relève.M.D.
Through the ages, the pursuit of Happiness has been at the heart of the needs and desires each individual would seek to fulfill, while as a concept, Happiness has always resonated strongly in poetic as well as philosophical, sociological and psychological contexts. But what about Happiness today, in a world dominated by technology, driven by productivity and dictated by efficiency? Does Happiness still feature in contemporary fiction in any significant way? Or has it perhaps gone underground, adopting different guises? Would we still call that “duty of happiness” that Pascal Bruckner saw as “present at the second half of the twentieth century” a relevant force today? Or has it waned ...
Des Pétales dans la bouche est le parcours en cinq "mouvements" d'une femme qui cherche sa voix, qui n'est pas accordée à sa voix. Cinq mouvements qui déploient cinq moments de la vie quotidienne et cinq espaces, du plus exigu, un taxi la nuit, jusqu'au plus ouvert, le bord de mer, ailleurs, en Italie, en passant par une salle de café, la chambre, un champ abandonné.
De loin, parce que son nom est lumineux, il est difficile de croire que l'Ariane est un quartier peu recommandable de Nice, à la périphérie de la ville, une zone, une zone sensible, une banlieue. Il faut s'approcher pour saisir qu'on est là au cœur du labyrinthe, qu'on craint le Minotaure, qu'on le brave, qu'il est question de père, d'île, d'amours blessées et trahies. Il faut s'approcher pour écouter le murmure de ceux qui l'habitent, parfois si peu, si mal, immigrés, exilés, déclassés, expropriés ; il faut s'approcher, et peut-être même se tenir au plus près pour écouter le murmure de ses héros, leurs manquements, leurs ardeurs obstinées, leur obscurité, et combien la tragédie est bouillonnante.
Maurice Jaubert naît dans les premiers jours de 1900, à Nice où le siècle, lavé par les vagues et lustré par la lumière, est encore plus neuf. Sa courte vie se dessine entre ce front de mer et la ligne de front où il meurt en juin 1940. Mais il aura inventé la musique de cinéma (il travaille avec Vigo, Storck, Renoir, Carné ou Duvivier) et cru à l'effervescence créatrice de son époque, malgré les années noires, malgré les tragédies : il aura cru ardemment aux vertus du nouveau sans lequel il n'y a ni désir ni joie. C'est cette énergie de vie et d'invention que Maryline Desbiolles restitue en un roman enthousiaste et généreux, qui nous fait partager un destin, une ville, une époque, ressuscitant cet homme que beaucoup ont admiré, et même vénéré, comme ce fut le cas de Truffaut. C'est une véritable lettre d'amour qu'elle adresse à travers le temps.
J’ai été frappée par la peinture de Vallotton au sortir de l’adolescence. Une peinture bien plus violente que froide, parfois même cruelle. Elle m’accompagne depuis. Elle m’est contemporaine. Elle est contemporaine de ma propre solitude. La peinture de Vallotton ne me raconte pas d’histoires, ne me berce pas d’illusions, ne me jette pas des paillettes aux yeux. Mais je me sens épaulée par elle.M.D.